mercredi 27 juin 2012

Pour se requinquer


"Allez, je vous offre un petit quelque chose pour vous requinquer ?" Qui n'a pas utilisé cette expression ? Requinquer signifiant redonner des forces, du courage, de la santé à quelqu'un. Et bien, on peut dire que le Quinquina est bien requinquant ! En dehors de son utilisation en médicament antipaludique, il a donc pu être prescrit pour toutes les formes d'asthénies (grande faiblesse générale, manque d'appétit, convalescence) ainsi que les fortes fièvres notamment en cas de grippe. Malgré son efficacité, la présence d'alcaloïdes en quantité font que son usage en tant que médicament est à contrôler.

Plus original, Jean Anthelme Brillat-Savarin, en 1825 dans son ouvrage culte "Physiologie du Goût, ou Méditations de Gastronomie Transcendante" émet l'hypothèse que le Quinquina ait des propriétés anti-obésité :  "le quinquina élevant toutes les puissances vitales, peut donner à la circulation une activité qui trouble et dissipe les gaz destinés à devenir de la graisse." Il appelle les docteurs à expérimenter sa recette à base de vin blanc dans lequel on dissout de la poudre de quinquina, à avaler à jeun un jour sur deux. Je ne sais pas s'il a eu beaucoup de médecins volontaires.

Heureusement, une autre voie s'est ouverte pour le Quinquina ! Les boissons "bitter", en particulier les apéritifs...
Dans un contexte géopolitique d'empires coloniaux, où des peuples de l'Europe s'en allèrent planter leurs guêtres loin de leurs racines, nombre souffraient ou voulaient se préserver des fameuses fièvres et autres désagréments de santé. La réputation du Quinquina n'était plus à faire. Le mode d'administration traditionnel était de le mettre dans du vin. Le vin lui-même était recommandé à l'époque par les instances qui veillait sur notre santé. Donc :
Le Quinquina est bon,
le Quinquina se prend dans du vin,
Le vin est bon,
Donc un apéritif au Quinquina est bon.

CQFD comme on dit en mathématiques = ce qu'il fallait démontrer !

Plusieurs marques d'apéritifs toniques-amers contenant du quinquina ont vu le jour au XIXe siècle. Leur point commun : une décoction de plantes et d'épices dans du mistelle (moût de raisin dont la fermentation est bloquée par l'ajout d'alcool). La plupart vante les vertus "toniques" du Quinquina dans leurs publicités. La limite entre le vin médicamenteux et l'apéritif plaisir y est souvent ambiguë.

Il faut dire que certains de ces vins au Quinquina ont pour origine des mélanges de plantes en macération dans de l'alcool,  utilisés en médicament avant d'être améliorés et proposés en apéritif "bitter". C'est le cas, par exemple, du "Dubonnet", créé en 1846 à Paris par Joseph Dubonnet, chimiste de son état. Ainsi que de "l'Amer africain" créé en 1832 par Gaétan Picon à Alger, qui donnera ensuite "l'Amer Picon", bien connu chez les Ch'tis pour aromatiser la bière.

La marque Byrrh, créée en 1866 par les frères Violet dans le Roussillon, n'hésite pas à accoler le terme "hygiénique" à "tonique" dans ses publicités : "Il est, en même temps que le meilleur stimulant, un reconstituant de premier ordre, au goût savoureux, éminemment tonique et hygiénique. Il doit aux vins naturels, qui, seuls, servent à sa préparation, sa haute supériorité ; il emprunte aux substances amères avec lesquelles il est mis en contact un arôme agréable et de saines propriétés cordiales." 

L'histoire de l'invention du St Raphaël est la plus originale. Elle remonte à 1830. On raconte que son inventeur, le docteur Juppet se mit à perdre la vue alors qu'il travaillait à la mise au point d'un apéritif à base de quinquina. Désirant retrouver la vue pour pouvoir terminer ses recherches, il plaça son nouvel élixir sous l'invocation de l'Archange Raphaël qui guérit Tobias de sa cécité. 
Il élabora la recette de St Raphaël et ... recouvrit la vue !



Bon, vous n'êtes pas obligés de croire tout ce que les publicistes vous racontent.

Si la curiosité vous pousse à avoir envie de fabriquer votre apéritif maison au Quinquina, voici une recette simple de Ratafia :
Ingrédients pour 1 litre : 5 g d'écorce de Quinquina rouge, 1 litre de vin rouge, 1 g de grains de cardamone, 5 g de racine d'Angélique, 1 gousse de vanille, 10 g d'écorce d'Orange amère, 1 pincée de Cannelle.
Préparation : Dans un grand bocal hermétique, mettez le vin rouge, ajoutez l'écorce de Quinquina, la gousse de vanille coupée en morceaux, et toutes les autres plantes et épices. Laissez macérer le tout pendant 2 semaine au minimum en agitant chaque jour le bocal. Ensuite passez la macération dans un filtre de papier et mettez en bouteilles bouchées hermétiquement.

Mais je ne veux pas vous pousser à la consommation ! 


Si vous préférez, vous pouvez vous satisfaire d'une visite virtuelle. En cliquant sur le lien qui suit Le bistrot des vieux alcools, vous découvrirez une étonnante collection.

Comme le souligne ce collectionneur passionné :

"Le bistrot ne reste-t-il pas encore le seul endroit où l'on puisse aimer tout le monde ?"

Je vous laisse méditer sur cet aphorisme et vous donne rendez-vous pour la fin de mon article Z'amoureux sur le Quinquina, où nous allons prendre de la hauteur....


Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.








dimanche 24 juin 2012

Le Quinquina en couleur


En 1735, Charles Marie de la Condamine est à la tête d'une expédition scientifique au Pérou pour mesurer un arc de méridien d'un degré à proximité de l'Équateur. Il est accompagné du botaniste Joseph de Jussieu qui étudie dans la province de Loja des quinquinas et en fait une description précise. L'Académie des Sciences de Paris publie la communication en 1738. Ce fut la première description de l'arbre à parvenir en Europe. C'est sur la base de cette description, que Carl von Linné créa en 1742 le genre nouveau Cinchona, dans le Genera Plantarum, en donnant foi à l'histoire romantique de la comtesse de Chinchon, comme nous l'avons vu dans le début de l'article sur le Quinquina.

Jussieu précise : "On distingue communément trois espèces de quinquina quoique quelques-uns en comptent jusqu'à quatre; le blanc, le jaune et le rouge : on m'avait dit à Loxa que ces trois espèces n'étoient différentes que par leur vertu, le blanc n'en ayant presque aucune, et le rouge l'emportant sur le jaune." Les études botaniques suivantes en relevèrent beaucoup plus, une vingtaine d'espèces connues à ce jour.

La fresque des Lyonnais, au 49 quai St Vincent
 avec Antoine de Jussieu, frère de Joseph, à gauche
Joseph de Jussieu n'allait rentrer en France qu’en 1771 après avoir passé 36 ans dans les Andes et en Amazonie, d’où il expédie de nombreux documents, mais aussi des graines et des plantes, dont la coca et le quinquina. Il faut dire que Joseph appartient à une étonnante dynastie de botanistes. Car dans cette famille lyonnaise, il y a trois frères : Antoine, Bernard et Joseph, et puis encore un neveu Antoine-Laurent et son fils Adrien qui tous se côtoient ou se succèdent au Jardin du roi et à l’Académie des sciences. Grâce à eux, Paris peut à l'époque, s’enorgueillir de posséder un des plus riches jardins du monde grâce à l’introduction et à l’acclimatation de plantes du monde entier. Si vous passez par la capitale, n'hésitez pas à vous faire plaisir en visitant leur digne héritier : le Jardin des plantes, ses serres et ses parterres.

La vie d'un autre personnage va se trouver bousculée par ce fameux arbre aux fièvres. Il s'agit de Samuel Hahneman qui, en 1790, décide de tester sur lui-même les effets de cette plante fébrifuge alors qu'il est en train de procéder à la traduction d'un livre sur le Quinquina du Pérou. L'effet est surprenant : il se met à grelotter de froid. C'est ainsi qu'il va poser la base de toutes ses recherches, le principe de similitude : "Pour guérir une maladie, il faut administrer un remède qui donnerait au malade, s'il était bien portant, la maladie dont il souffre." Pour satisfaire votre curiosité, en homéopathie, le médicament préparé avec du Quinquina rouge s'appelle China rubra.

Mais l'aventure du Quinquina n'allait pas s'arrêter là. Au XIXe siècle, la chimie prend son essor. Deux pharmaciens parisiens, arrivent en 1820 à isoler le principe actif principal de l'écorce de Quinquina, un alcaloïde auquel ils donnent le nom de ....quinine. Voici la description que Joseph Pelletier et Joseph Caventou (oui, que de "Joseph" autour du Quinquina !) font de cette matière dans le « Journal de pharmacie et sciences accessoires » :

 « La quinine ne cristallise jamais. Desséchée et entièrement privée d'humidité elle se présente sous forme de masse poreuse d'un blanc sale, elle est très peu soluble dans l'eau ;.... Malgré son peu de solubilité cette matière est très amère, on ne peut non plus lui refuser une certaine affinité pour l'eau, car lorsqu'on évapore une solution de quinine dans de l'alcohol non absolu, elle retient de l'eau avec force, d'où il résulte une sorte d'hydrate transparent fusible à 90 degrés tandis que dépouillée d'eau par une chaleur longtemps continuée la cinchonine perd de sa fusibilité et se présente sous forme d'une masse poreuse au lieu de s'offrir avec l'apparence de la cire fondue ou d'un vernis desséché ».

Cette quinine va être à la base de la nouvelle thérapeutique contre le paludisme. Cette molécule a, en effet, la propriété de bloquer le cycle de reproduction du parasite responsable de cette maladie. Cette forme isolée du principe actif va permettre la mise-au-point du premier médicament chimique contre le paludisme. Ce qui ne se fait pas sans quelques contestations, certains demandant "le bannissement des sciences chimiques du sanctuaire de la médecine".

A Paris, à l'angle du boulevard St Michel et de la rue de l'Abbé-de-l'Epée, vous pourrez trouver une représentation de la guérison du paludisme à l'aide de la quinine. C'est très allégorique !


Plus tard, le Quinquina va être mêlé aux grands mouvements de l'histoire du XIXe siècle et du début du XXe siècle, notamment la concurrence entre les nations européennes  pour son exploitation, les colonisations, les guerres mondiales...

Puis, nouvelle bascule de l'histoire, c'est en 1944, qu'une première synthèse d'une molécule proche de la quinine est réalisée par Robert B. Woodward et William von Eggers Doering. Des antipaludéens de synthèse (APS) tendent ensuite à remplacer la quinine d'extraction, plus chère. Les Quinquinas peuvent alors dormir sur leurs deux oreilles....Pas vraiment, car dans ce début du XXIe siècle, la médecine fait de nouveau appel à leur service en raison des effets d'accumulation tissulaire des molécules de synthèse et à cause des phénomènes de résistance développés par le parasite responsable du paludisme.

Bien sûr, l'utilisation du Quinquina surtout en cas de maladie comme le paludisme ne fait pas partie de la "pharmacie familiale" mais, pour le "pecus vulgaris" que nous sommes, tout n'est pas perdu ! Le Quinquina peut nous offrir d'autres visages bien sympathiques que j'aimerai vous faire découvrir dans la suite de mon article.

Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.


mercredi 20 juin 2012

A la découverte du Quinquina


Alors, matelot, paré pour l'aventure ? Pour découvrir le Quinquina il va nous falloir affronter les mers déchaînées, les fleuves insalubres, les montagnes torrides mais surtout le fleuron des grandes épopées de l'aventure humaine.
Au début, il y a le fameux Christophe Colomb, qui, s'il n'avait pas eu autant la bougeotte, aurait permis à des peuples qui ne demandaient rien à personne de continuer à vaquer à leurs occupations en toute tranquillité. Ensuite, il y a les conquistadores et là, c'est pas toujours joli, joli. Bon, on y est, l'Espagne étend ses prérogatives sur une bonne partie de l'Amérique du Sud. Pour les colons, c'est vraiment le Pérou. La compagnie de Jésus s'installe dans leur sillage et y fondent des "missions" dès le milieu du XVIe siècle. 

C'est dans ce contexte, qu'apparaît pour la première fois au début du XVIIe siècle, une référence à une écorce fébrifuge "corteza de las calenturas",  provenant "d'une certaine espèce de grands arbres qui ont une écorce semblable à la cannelle, un peu rugueuse et très amère ; laquelle réduite en poudre, est administrée à ceux qui ont la fièvre, et avec ce remède seul le mal disparaît ".
La renommée de cette poudre va se faire dans les missions et les Jésuites vont la faire voyager dans leurs bagages jusqu'à Rome dès les années 1630.

Cela tombait bien. En effet, Rome était à cette époque la ville la plus impaludée du monde. Plusieurs papes moururent de mal'aria, "le mauvais air". Tous les étés, les fièvres intermittentes frappaient les populations du bassin méditerranéen. Peu à peu, la maladie s'était étendue vers le nord, elle atteignait les côtes méridionales de l'Angleterre.  La médecine européenne était impuissante pour soigner ces fièvres palustres. Pourtant, les mérites de l'écorce du Pérou ne s'imposèrent pas immédiatement en Europe, encore fallait-il trouver le bon emploi. Et alors rentrent en scène de nombreux personnages dont voici quelques-uns. 

Voici tout d'abord, Sebastiano Bado, médecin génois, n'ayant jamais mis les pieds au Pérou, qui, en 1639, relata la guérison - qui s'est avérée légendaire - de la comtesse de Chinchon, épouse du vice-roi du Pérou, guérie d'une fièvre tierce grâce à une potion tirée de l'écorce d'un arbre local. Bado fut aussi le premier à employer pour cet arbre le terme de "quinquina" et à expliquer qu'il venait du nom donné à cet arbre en quechua "kinakina" - ce qui est une erreur semble-t'il.

C'est pourtant sur la base de cette histoire que, un siècle plus tard, Linné attribua le nom de genre "Conchina" , du nom de la comtesse, au désormais fameux Quinquina !

Ensuite, voici Robert Talbor, apothicaire anglais, présenté soit comme un pionnier, soit comme un manipulateur. Nous retrouvons celui-ci en 1679 à Versailles où ni la famille royale ni les aristocrates ne sont épargnés par des fièvres intermittentes, dues à la présence des eaux stagnantes des marais. Il leur propose son "médicament secret".

Dans une lettre du 8 novembre 1680 à sa fille, la marquise de Sévigné   fait mention de lui : "L’Anglois a promis au Roi sur sa tête, et si positivement, de guérir Monseigneur dans quatre jours, et de la fièvre, et du dévoiement, que s’il n’y réussit, je crois qu'on le jettera par les fenêtres...". Le succès fut au rendez-vous puisque non seulement , Talbor ne fut pas passé par les fenêtres, mais au contraire reçu une rente d'un  fort beau gabarit. 

Il semble que cela mit de fort mauvaise humeur le médecin officiel du roi , Antoine Daquin. La même marquise de Sévigné raconte la scène dans son style enlevé : "C'est dommage que Molière soit mort ; il ferait une scène merveilleuse de Daquin, qui est enragé de n'avoir pas le bon remède, et de tous les autres médecins, qui sont accablés par les expériences, par les succès, et par les prophéties comme divines de ce petit homme...".

Mais en quoi consistait la fameuse innovation de Robert Talbor : le "médicament secret du médecin anglais" ? En une préparation assez rudimentaire précisant la quantité de quinquina par pinte de vin et le rythme des prises. Cette supercherie permit à ses détracteurs d'alimenter leurs attaques contre lui et un article dans le "Journal Des Sçavans" le traite pratiquement de charlatan. C'est la fameuse "querelle du quinquina". Il faut dire qu'à l'époque (mais est-ce que cela a tellement changé ?) chaque innovation est l'occasion de débats voire de polémiques virulentes au sein de la profession médicale.

De son côté, La Fontaine donne son soutien à ce nouveau médicament en 1682 avec "le Poème du quinquina" où il fustige les dogmes de la médecine officielle de l'époque, en voici un extrait :
"...J’ai fait voir ce que croit l’Ecole et ses suppôts. 
On a laissé longtemps leur erreur en repos ; 
La quina l’a détruite, on suit des lois nouvelles...
La base du remède étant ce divin bois, 
Outre la centaurée on y joint le genièvre ; 
Faible secours, et secours toutefois. 
De prescrire à chacun le mélange et le poids,...
Mais comme il faut au quina quelque choix, 
Le vin en vaut aussi bien que ce bois : 
Le plus léger convient mieux au remède ; 
Il porte au sang un baume précieux ; ...
Le quina s’offre à vous, usez de ses trésors. "

Dès lors que Louis XIV utilise le quinquina, par mimétisme les aristocrates vont s'en emparer. Les publications se multiplient. Le remède se banalise et entre alors définitivement dans les pharmacopées, du moins celles des gens aisés.

Mais si on reconnaît les vertus du quinquina, on ne connait toujours pas en Europe précisément la botanique de l'arbre qui donne ainsi son écorce.

Nous allons passer au siècle suivant pour suivre la trace d'une grande expédition, celle de Charles Marie de La Condamine qui permit à Joseph de Jussieu d'étudier le Quinquina et d'en préciser la botanique.

Alors, plus à l'ouest, toujours plus à l'ouest ! 


Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.

PS : et merci à Hergé pour les illustrations un peu iconoclastes (comme dirait le capitaine Haddock) !

mercredi 13 juin 2012

Badasson et Salagon


Avec le "Badasson" (nom provençal), nous entrons de plain pied dans les mystères de la relation entre l'homme et la plante.

Le Plantain “Badasson” est très différent des autres Plantains de nos régions car il forme un petit buisson vivace, ligneux à la base, ramifié, et qui peut atteindre 60 cm de haut. Son nom commun est le Plantain toujours vert (Plantago sempervirens) même s'il prend une allure desséchée pendant la rude saison. Ce Plantain existe à l’état sauvage du sud de l’Italie au sud de l’Espagne. 

En France, ce "Badasson" a des emplois médicinaux uniquement en Haute-Provence occidentale, où il reste connu de beaucoup. Il y est considéré comme une plante médicinale "bonne à tout". Dans cette zone géographique, le Badasson est utilisé comme un remède très polyvalent des affections externes diverses : plaies, ulcères, brûlures, contusions, inflammations, furoncles, panaris, dermatoses, etc.. Il est moins souvent employé à l’intérieur : gastrites, champ “dépuratif”, etc. Cette plante est aussi utilisée en médecine vétérinaire. Bref, comme dirait un habitant de Mane : "C'est une plante qui vaut de l'or".

Or ce même Plantain toujours vert est négligé sur la rive gauche de la Durance, à quelques kilomètres de là. En paraphrasant Blaise Pascal, nous pouvons donc dire : 
"Badasson = plante panacée en-deçà de la Durance, plante ignorée au-delà " ! 

Cela intrigue : "Il semble n’avoir des usages analogues que dans une région étroite du sud de l’Espagne. Ignoré de toutes les sources écrites, anciennes et modernes, le “Badasson” pose bien des questions : comment expliquer la localisation étroite de ses emplois, son extrême popularité ? les connaissances locales à son sujet sont-elles récentes ? comment se sont-elles constituées ? sont-elles d’origine espagnole ou faut-il supposer l’inverse ? ". A ce jour, le mystère reste entier malgré les enquêtes des ethnobotanistes.

L'objet de l'ethnobotanique est "l'attention à tous les aspects des rapports anciens et actuels des sociétés avec la plante comme élément du territoire, comme nom, comme aliment, remède, matériau des techniques, signe, symbole, vecteur de pouvoirs, support de croyance, etc."


Un "grand monsieur" est à l'origine du développement de l'ethnobotanique en France, Pierre Lieutaghi. Il revendique d'appartenir à un courant naturaliste où la plante n'est jamais oubliée en tant qu'être vivant digne d'attention pour lui-même.

Auteur de nombreux ouvrages, chercheur foisonnant, alliant démarche scientifique et verbe poétique, passionné et passionnant, il sait partager ses connaissances avec beaucoup de générosité. Je lui adresse un grand coup de chapeau. 



Si la petite histoire du Badasson vous intrigue, si vous avez envie de renouer avec des savoirs anciens, actuels voire futurs, je vous invite à aller visiter Salagon. Cet ancien prieuré situé près de Mane dans les Alpes de Haute-Provence, abrite un musée et des jardins créés par Pierre Lieutaghi. Ces jardins aux thèmes variés (le jardin des simples, le jardin médiéval, le jardin des temps modernes, le jardin des senteurs, etc.) vous permettront de rencontrer sur pied et en tête-à-tête, de nombreuses plantes avec lesquelles les hommes ont été ou sont encore en relation. Pour en savoir plus et préparer votre visite, cliquez sur le lien suivant : Site du musée de Salagon



Pour conclure mon article Z'amoureux sur le Plantain, je vous propose de lui associer cette sagesse :

"Individu ou société, on a la plante (médicinale) qu'on mérite
La plante est immuable, absolue.
C'est le contact d'homme à plante qui est variable, relatif,
...fort ou faible,...fécond ou stérile,...spirituel ou matériel."


Dans la suite de mon dictionnaire Z'Amoureux des plantes, j'aimerai vous embarquer dans une nouvelle aventure avec "Q" comme "Quinquina".


Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.





dimanche 10 juin 2012

Du champ à l'officine


Par sa proximité avec l'habitat des humains, le long des chemins si souvent empruntés, le Plantain de nos région a depuis longtemps été utilisé comme plante aux vertus médicinales, en premier chef, en tant que plante vulnéraire.

Toutes les plantes vulnéraires, c'est-à-dire propres à guérir les plaies, les contusions, ont toujours eu une grande valeur dans un monde rural où la capacité corporelle était fortement sollicitée. Même dans des temps relativement récents, il n'était pas question d'aller pour un rien "au" médecin ou "au" pharmacien qui se situaient souvent loin ou qui coûtaient trop chers. Par contre, il était impératif de soigner promptement les bobos avant qu'ils n'entraînent des infections ou autres complications beaucoup plus difficiles à traiter. 

En usage externe, le Plantain est reconnu comme cicatrisant, résolutif. Il possède des propriétés hémostatiques et  légèrement anti-bactériennes. Nos anciens préparaient des baumes pour en avoir toujours sous la main. L'abbé Kneipp (Allemagne, 19ème siècle), bien connu pour ses cures d'eau, était convaincu de la valeur cicatrisante du Plantain, car il affirmait : "On dirait que le plantain referme la plaie en beauté par une couture de fil d'or".

Si vous vous retrouvez en rase compagne, vous pourrez recourir aux vertus du Plantain, qu'il soit majeur, moyen ou même lancéolé. Nous avons déjà vu que vous pouvez soulager une piqûre d'Ortie ou d'insecte en appliquant sur la zone touchée des feuilles de Plantain préalablement froissées entre les doigts pour que le jus en sorte. Mais en cas de blessure, comme soin d'urgence, vous pouvez également poser ses feuilles froissées ou brisées en cataplasme sur la plaie, face supérieure contre la peau, en les "tuilant" si nécessaire.

Plantago major
Par sa composition, tanins, mucilage ainsi que flavonoïdes (apigénine) et iridoïdes (aucuboside), le Plantain, notamment le Plantain majeur, possède d'autres propriétés intéressantes.

Ses propriétés anti-inflammatoires sont mises à profit dans les cas d'inflammation et d'irritation de l'oeil et de la paupière. Pour cela, vous pourrez utiliser, en bains d'oeil ou en compressesune macération de Plantain.
Préparation : Mettez 20 g de feuilles sèches de Plantain majeur dans 1/2 litre d'eau froide, faites macérer toute la nuit en couvrant le récipient d'un linge propre. Au matin, faites chauffer et faites bouillir pas plus d'une minute. Filtrez à travers un linge propre. Laissez refroidir et utilisez le jour même.

Le Plantain a également des propriétés astringentes et adoucissantes. La combinaison de ces propriétés permet de rendre service en cas de gorges irritées, trachéites, laryngites, d'affections des voies respiratoires en particulier pour soulager les toux grasses, notamment en cas d'allergies saisonnières. Pour préparer une tisane, vous ferez infuser hors du feu et à couvert 1 cuillerée à soupe de feuilles sèches de Plantain majeur pour 1 bol d'eau bouillante pendant 10 minutes, à prendre deux fois par jour loin des repas.

Et si cela vient du ventre ? Et bien le Plantain répond présent ! Ce sont ses graines à ce moment-là qui vont être utilisées. En effet, elles sont très riches en mucilage. Ce mucilage a la caractéristique d'absorber de grandes quantités d'eau et de former un gel en gonflant jusqu'à multiplier son volume par 10. Cette caractéristique sera précieuse en cas de constipation mais aussi en cas de diarrhée. Il ne faudra pas oublier de boire ! Vous trouverez ces graines sous le nom de "Psyllium", nom usuel qui peut correspondre à plusieurs espèces de Plantains.

Les graines du Plantain pucier (Plantago afra), parfois appelé "Psyllium noir", très répandu sur le pourtour méditerranéen, vont être utilisées de façon efficace en laxatif de lest. Leur action est mécanique, douce et non-irritante. Pour cela, vous prendrez une cuillerée à soupe de graines telles quelles ou dans un yaourt, suivie d'un très grand verre d'eau (1/4 de litre).

Un autre plantain présente une grande richesse en mucilage. Il s'agit du  Plantago ovata, nommé Ispaghul, parfois appelé aussi "Psyllium blond", originaire de l'Inde. Vous le trouverez dans le commerce sous forme de poudre : il s'agit du tégument de ses graines pulvérisé.  La poudre est à verser dans un grand verre d'eau, à avaler de suite pour que le gel ne se forme pas dans le verre ! Cette forme est particulièrement adaptée aux intestins dits "irritables" avec ce que cela signifie de désordres désagréables.

Bien sûr, pour avoir un ventre en bonne santé, c'est toute une hygiène de vie qu'il vous faudra mettre en place : alimentation, exercice physique, rythme de vie, etc. Le facteur "sur-stress" étant prépondérant, vous vous tournerez vers des techniques de relaxation. Je vous propose, et c'est bon pour tout le monde, une petite méditation ventrale, inspirée du livre "Et si ça venait du ventre" de Pierre Pallardy. Dans un endroit calme et tranquille, asseyez-vous confortablement sur une chaise, les deux pieds sont bien à plat, le dos droit sans excès ne s'appuie pas sur le dossier, la tête est dans le prolongement du corps, le menton très légèrement rentré. Posez avec légèreté vos deux mains ouvertes sur votre ventre. Pratiquez la respiration ventrale sans vous ballonner. Branchez-vous avec amitié sur les sensations dans votre ventre sous vos mains. Accueillez les gargouillis, tressaillements, mouvements divers : cela circule ! Et c'est bien. Déplacez peu à peu vos mains sur votre ventre. Vous pourrez ressentir une légère chaleur. Une sensation de bien-être va vous envahir peu à peu. Vous terminerez la séance par une ou deux grandes respirations. Étirez-vous, baillez .....

 ...tout va bien ? Maintenant j'aimerai vous faire découvrir le Plantain fétiche des Hauts Provençaux et vous guider au pays de l'ethnobotanique, Salagon.


Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre


mercredi 6 juin 2012

Le Plantain à la table des Chefs



La mode des "salades sauvages" a ceci de bien qu'elle a permis que des plantes passent directement du statut de mauvaises herbes à extirper coûte que coûte de nos gazons, jardins et potagers au statut de mets recherchés sur la table de grands Chefs.

Pour ce qui est du Plantain, ce n'était pas gagné ! Car les feuilles des Plantains les plus courants sont très fibreuses. Il faudra réserver la cueillette aux pousses de printemps ou bien à celles qui suivent les ondées estivales. Le Plantain lancéolé est un des Plantains bien côtés pour cet usage, l'autre étant le Plantain Corne de Cerf (Plantago coronopus) qui a des feuilles découpées. Bien sûr vous choisirez des lieux non souillés par les animaux (attention aux risques parasitaires) et non pollués. Puis vous prendrez soin de laver votre récolte à grandes eaux vinaigrées avant de la consommer. Si vous mâchouillez alors un morceau de feuille de Plantain, vous aurez en premier un goût vert de type jeune épinard puis en deuxième temps une saveur étonnante de champignon ! Par contre, le Plantain ne s'utilisera pas seul dans les salades, il fera toujours partie d'un mélange.

Ne vous improvisez pas "ramasseur-cueilleur". Si vous n'avez pas appris enfant à reconnaître ce qui se mange et ce qui ne se mange pas dans la nature auprès d'un tonton, d'un voisin ou d'une grand-mère, rejoignez un groupe d'initiation aux récoltes naturelles. Il y en a maintenant dans toutes les régions de France. Une fois initié, vous aurez le bonheur de préparer des recettes qui titilleront vos papilles de saveurs nouvelles.

En entrée ou en plat unique, pourquoi pas "une salade paysanne":
Ingrédients (pour 4 personnes) : Jeunes feuilles de Plantain, Pissenlit et Mauve, pommes de terre nouvelles cuites, petits lardons, 4 oeufs durs, 3 cuillerée à soupe d'huile d'olive, vinaigre de cidre, sel, poivre.
Préparation : Lavez bien les plantes récoltées et coupez-les grossièrement au couteau, Faites revenir les lardons dans une poêle, puis ajoutez les herbes pour les faire attendrir quelques secondes. Versez dans un saladier et ajoutez les pommes de terre cuites et les oeufs durs coupés en rondelles. Assaisonnez avec une vinaigrette.

Je vous parlais des grands Chefs. A tout seigneur, tout honneur :  Marc Veyrat. Si vous ne le savez pas encore, Marc Veyrat est un Chef extrêmement inventif et qui a largement invité dans ses créations culinaires des produits de cueillettes naturelles. Il a aussi expérimenté la cuisine moléculaire, créant ainsi des plats mythiques. Plus nature, sa recette des "Cinq salades folles de prairie". Sa seule difficulté : trouver les ingrédients !!! Puisqu'il vous faudra pour la réaliser du jeune Plantain (Plantago lanceolata), de la jeune Stellaire (Stellaria media), de jeunes feuilles de Laiteron (Sonchus oleraceus), de jeunes pousses de Lamier tacheté (Lamium maculatum) et du ciboulail (plante aromatique cultivée). Je vous ai mis le nom botanique pour vous aider, faites-vous accompagner par un botaniste patenté !



Pour ne pas se coucher bête ce soir, tordons le cou à des idées préconçues.
  • Premièrement, nos "salades sauvages" ne l'ont pas toujours été. Ainsi la Raiponce a longtemps été cultivée, elle était très en vogue au XVIIème siècle. La Roquette a d'ailleurs repris le chemin de nos assiettes (avec son goût piquant si apprécié) ainsi que le chemin de nos potagers. 
  • Deuxièmement, les salades sauvages "de maintenant" n'ont pas toutes été bien appréciées dans le temps. Pas bêtes les anciens Provençaux, qui négligeaient mollement le goût grossier du "Pain blanc", porté aux nues par certains néo-ruraux pour lui préférer la "Cousteline" ou le "Breou" ! 
  • Enfin, les salades sauvages n'étaient pas réservées aux repas de disette. En effet quand la famine menaçait, les humains recherchaient des plantes  plus roboratives. "En période de misère, les salades sauvages sont évidemment ramassées mais elles le sont dans l'anonymat des "plantes de famine"." Par contre, la consommation de salades sauvages faisait partie des usages de santé, à la sortie de l'hiver, à l'époque dite "du renouvellement du sang".

Alors, si vous êtes séduits par ses capacités culinaires, pourquoi ne pas inviter le Plantain dans un petit coin de votre jardin. Vous pourrez choisir le Plantain Corne de Cerf, qui a la particularité de conserver sa tendresse et reste donc consommable en été. Vous pourrez vous fournir en graines en particulier auprès de l'association Kokopelli .

Au-delà d'être intéressant dans nos cuisines, le Plantain possède aussi des propriétés médicinales, propriétés  que je vous emmène visiter dans la suite de mon article.


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Philomènement vôtre.


dimanche 3 juin 2012

A la découverte du plantain


Regarde, c'est du Plantain !
- Où ça ?
Là, à tes pieds !
- Ah bon , c'est ça le Plantain ??

Ben oui, c'est "ça" : une rosette de feuilles robustes et couturées avec au milieu une tige toute raide qui porte en bout une sorte de fuseau, qui, lorsqu'il le veut bien, se couvre de petites envolées claires. Enfin, cela vaut pour la majorité des plantains, ceux qui nous accompagnent dans les chemins et que la plupart du temps nous piétinons allègrement sans même leur porter un regard.

J'ai commencé à observer le Plantain lorsque j'ai appris que ses feuilles froissées pouvaient soulager les piqûres d'ortie, voire d'insectes. Du temps de ma jeunesse, cette médication m'a permis d'obtenir quelques succès d'estime auprès de mes camarades de jeux champêtres. Je l'utilise encore maintenant auprès de mes petits-enfants. Je l'avoue donc, ce n'est pas de façon totalement désintéressée que je me suis penchée sur leur anatomie. 

Il faut dire que le Plantain, chez les plantes, c'est un peu le "Poulidor" de service. Vous savez, le coureur cycliste qui arrivait toujours second au Tour de France. Les honneurs, la bousculade, le champagne, la belle nana avec le gros bouquet, c'était pas pour lui. C'est une plante sans gloriole mais qui reste souriante et tranquille, consciente de sa place dans l'Univers.

Mélitée du Plantain
Si les humains le néglige parfois, les animaux savent reconnaître les vertus du Plantain. Le Plantain est brouté avec bonheur et ses fleurs, mêmes si elles sont minuscules, sont butinées avec joie. Quant aux chenilles, elles y trouvent toute l'énergie qu'il leur faut pour se faire des réserves en vue de leur métamorphose. Le Plantain est notamment la plante hôte du papillon "la Mélitée du Plantain", appelé aussi "la Déesse aux ceinturons". Les oiseaux viennent également y faire bombance grâce à ses graines. Vous pouvez même ramener les hampes graineuses des Plantains pour gâter vos petits oiseaux en cage. Que d'abondance au ras du sol !

Le surnom du Plantain pourrait d'ailleurs être "rase-bitume", il apparaît dès le moindre interstice dans la nappe goudronneuse qui recouvre de plus en plus les anciens chemins de terre. Quoique, avec les restrictions budgétaires, je remarque un moins bon entretien des routes, ce qui laisse toute sa chance à une reconquête de la terre sur l'enrobé et peut-être un retour des "vrais" chemins vicinaux. Youpi !

Mais je parle "du" Plantain, alors que je devrais dire "les" Plantains, de la famille des Plantaginacées. Car il y a le petit, il y a le maigre, il y a le rond, il y a le long,... il y a le dur, il y a le mou qu'a un grand cou, il y a le gros touffu, le p'tit joufflu, le grand ridé, le mont pelé, ...tout, tout, tout, tout, j'vous dirai tout sur le Plantain (Merci Pierre Perret).

Un petit tour d'horizon de trois Plantains rencontrés très fréquemment dans toute la France :


Place au Plantago major (le Plantain majeur) qui manifeste un grand enthousiasme dans sa rosette aux feuilles larges, ovaloïdes et bien charnues. Sa hampe florale porte une inflorescence allongée. La taille de la plante entière va atteindre suivant le milieu où elle pousse de 15 cm à 50 cm.

Présentons ensuite Plantago lanceolata (le Plantain lanceolé) reconnaissable à ses feuilles en forme de lance et son inflorescence plus "boulotte" au bout d'une longue tige. La caractéristique de cette tige est d'être crénelée à cinq faces.

Et pour l'équilibre, voici le Plantago media (le Plantain moyen) qui ressemble au Plantago major ...en plus petit et avec des feuilles larges qui vont en se rétrécissant. Sa floraison blanchâtre ou rosée est la plus belle du genre. Enfin, ne vous attendez pas à une orchidée, elle reste modeste !


Nous verrons un peu plus loin qu'il y a d'autres sortes de Plantains (environ 200 espèces recensés dans le monde dont une vingtaine en France), notamment le fameux Badasson des Hauts-Alpins, considéré de façon locale comme une panacée.

Pour entrer en contact de façon positive avec le Plantain, je vous propose de nous tourner vers les pratiques magiques des anciens temps style marabout et bout d'ficelle tiré du livre "Eloge du Plantain" ! "Pour se faire aimer, cueillez le jour de la Saint Jean, avant le soleil levé, de la graine de Plantain que vous pulvériserez et mettrez dans un tuyau de plume d'oie avec deux gouttes d'eau bénite puis étoupez le tout de cire vierge d'un cierge béni."

Vive les Z'Amoureux et dans mon prochain article, allons faire un tour à l'office où le Plantain peut prendre place. A vos casseroles !


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