dimanche 24 juin 2012

Le Quinquina en couleur


En 1735, Charles Marie de la Condamine est à la tête d'une expédition scientifique au Pérou pour mesurer un arc de méridien d'un degré à proximité de l'Équateur. Il est accompagné du botaniste Joseph de Jussieu qui étudie dans la province de Loja des quinquinas et en fait une description précise. L'Académie des Sciences de Paris publie la communication en 1738. Ce fut la première description de l'arbre à parvenir en Europe. C'est sur la base de cette description, que Carl von Linné créa en 1742 le genre nouveau Cinchona, dans le Genera Plantarum, en donnant foi à l'histoire romantique de la comtesse de Chinchon, comme nous l'avons vu dans le début de l'article sur le Quinquina.

Jussieu précise : "On distingue communément trois espèces de quinquina quoique quelques-uns en comptent jusqu'à quatre; le blanc, le jaune et le rouge : on m'avait dit à Loxa que ces trois espèces n'étoient différentes que par leur vertu, le blanc n'en ayant presque aucune, et le rouge l'emportant sur le jaune." Les études botaniques suivantes en relevèrent beaucoup plus, une vingtaine d'espèces connues à ce jour.

La fresque des Lyonnais, au 49 quai St Vincent
 avec Antoine de Jussieu, frère de Joseph, à gauche
Joseph de Jussieu n'allait rentrer en France qu’en 1771 après avoir passé 36 ans dans les Andes et en Amazonie, d’où il expédie de nombreux documents, mais aussi des graines et des plantes, dont la coca et le quinquina. Il faut dire que Joseph appartient à une étonnante dynastie de botanistes. Car dans cette famille lyonnaise, il y a trois frères : Antoine, Bernard et Joseph, et puis encore un neveu Antoine-Laurent et son fils Adrien qui tous se côtoient ou se succèdent au Jardin du roi et à l’Académie des sciences. Grâce à eux, Paris peut à l'époque, s’enorgueillir de posséder un des plus riches jardins du monde grâce à l’introduction et à l’acclimatation de plantes du monde entier. Si vous passez par la capitale, n'hésitez pas à vous faire plaisir en visitant leur digne héritier : le Jardin des plantes, ses serres et ses parterres.

La vie d'un autre personnage va se trouver bousculée par ce fameux arbre aux fièvres. Il s'agit de Samuel Hahneman qui, en 1790, décide de tester sur lui-même les effets de cette plante fébrifuge alors qu'il est en train de procéder à la traduction d'un livre sur le Quinquina du Pérou. L'effet est surprenant : il se met à grelotter de froid. C'est ainsi qu'il va poser la base de toutes ses recherches, le principe de similitude : "Pour guérir une maladie, il faut administrer un remède qui donnerait au malade, s'il était bien portant, la maladie dont il souffre." Pour satisfaire votre curiosité, en homéopathie, le médicament préparé avec du Quinquina rouge s'appelle China rubra.

Mais l'aventure du Quinquina n'allait pas s'arrêter là. Au XIXe siècle, la chimie prend son essor. Deux pharmaciens parisiens, arrivent en 1820 à isoler le principe actif principal de l'écorce de Quinquina, un alcaloïde auquel ils donnent le nom de ....quinine. Voici la description que Joseph Pelletier et Joseph Caventou (oui, que de "Joseph" autour du Quinquina !) font de cette matière dans le « Journal de pharmacie et sciences accessoires » :

 « La quinine ne cristallise jamais. Desséchée et entièrement privée d'humidité elle se présente sous forme de masse poreuse d'un blanc sale, elle est très peu soluble dans l'eau ;.... Malgré son peu de solubilité cette matière est très amère, on ne peut non plus lui refuser une certaine affinité pour l'eau, car lorsqu'on évapore une solution de quinine dans de l'alcohol non absolu, elle retient de l'eau avec force, d'où il résulte une sorte d'hydrate transparent fusible à 90 degrés tandis que dépouillée d'eau par une chaleur longtemps continuée la cinchonine perd de sa fusibilité et se présente sous forme d'une masse poreuse au lieu de s'offrir avec l'apparence de la cire fondue ou d'un vernis desséché ».

Cette quinine va être à la base de la nouvelle thérapeutique contre le paludisme. Cette molécule a, en effet, la propriété de bloquer le cycle de reproduction du parasite responsable de cette maladie. Cette forme isolée du principe actif va permettre la mise-au-point du premier médicament chimique contre le paludisme. Ce qui ne se fait pas sans quelques contestations, certains demandant "le bannissement des sciences chimiques du sanctuaire de la médecine".

A Paris, à l'angle du boulevard St Michel et de la rue de l'Abbé-de-l'Epée, vous pourrez trouver une représentation de la guérison du paludisme à l'aide de la quinine. C'est très allégorique !


Plus tard, le Quinquina va être mêlé aux grands mouvements de l'histoire du XIXe siècle et du début du XXe siècle, notamment la concurrence entre les nations européennes  pour son exploitation, les colonisations, les guerres mondiales...

Puis, nouvelle bascule de l'histoire, c'est en 1944, qu'une première synthèse d'une molécule proche de la quinine est réalisée par Robert B. Woodward et William von Eggers Doering. Des antipaludéens de synthèse (APS) tendent ensuite à remplacer la quinine d'extraction, plus chère. Les Quinquinas peuvent alors dormir sur leurs deux oreilles....Pas vraiment, car dans ce début du XXIe siècle, la médecine fait de nouveau appel à leur service en raison des effets d'accumulation tissulaire des molécules de synthèse et à cause des phénomènes de résistance développés par le parasite responsable du paludisme.

Bien sûr, l'utilisation du Quinquina surtout en cas de maladie comme le paludisme ne fait pas partie de la "pharmacie familiale" mais, pour le "pecus vulgaris" que nous sommes, tout n'est pas perdu ! Le Quinquina peut nous offrir d'autres visages bien sympathiques que j'aimerai vous faire découvrir dans la suite de mon article.

Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.


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