mercredi 20 juin 2012

A la découverte du Quinquina


Alors, matelot, paré pour l'aventure ? Pour découvrir le Quinquina il va nous falloir affronter les mers déchaînées, les fleuves insalubres, les montagnes torrides mais surtout le fleuron des grandes épopées de l'aventure humaine.
Au début, il y a le fameux Christophe Colomb, qui, s'il n'avait pas eu autant la bougeotte, aurait permis à des peuples qui ne demandaient rien à personne de continuer à vaquer à leurs occupations en toute tranquillité. Ensuite, il y a les conquistadores et là, c'est pas toujours joli, joli. Bon, on y est, l'Espagne étend ses prérogatives sur une bonne partie de l'Amérique du Sud. Pour les colons, c'est vraiment le Pérou. La compagnie de Jésus s'installe dans leur sillage et y fondent des "missions" dès le milieu du XVIe siècle. 

C'est dans ce contexte, qu'apparaît pour la première fois au début du XVIIe siècle, une référence à une écorce fébrifuge "corteza de las calenturas",  provenant "d'une certaine espèce de grands arbres qui ont une écorce semblable à la cannelle, un peu rugueuse et très amère ; laquelle réduite en poudre, est administrée à ceux qui ont la fièvre, et avec ce remède seul le mal disparaît ".
La renommée de cette poudre va se faire dans les missions et les Jésuites vont la faire voyager dans leurs bagages jusqu'à Rome dès les années 1630.

Cela tombait bien. En effet, Rome était à cette époque la ville la plus impaludée du monde. Plusieurs papes moururent de mal'aria, "le mauvais air". Tous les étés, les fièvres intermittentes frappaient les populations du bassin méditerranéen. Peu à peu, la maladie s'était étendue vers le nord, elle atteignait les côtes méridionales de l'Angleterre.  La médecine européenne était impuissante pour soigner ces fièvres palustres. Pourtant, les mérites de l'écorce du Pérou ne s'imposèrent pas immédiatement en Europe, encore fallait-il trouver le bon emploi. Et alors rentrent en scène de nombreux personnages dont voici quelques-uns. 

Voici tout d'abord, Sebastiano Bado, médecin génois, n'ayant jamais mis les pieds au Pérou, qui, en 1639, relata la guérison - qui s'est avérée légendaire - de la comtesse de Chinchon, épouse du vice-roi du Pérou, guérie d'une fièvre tierce grâce à une potion tirée de l'écorce d'un arbre local. Bado fut aussi le premier à employer pour cet arbre le terme de "quinquina" et à expliquer qu'il venait du nom donné à cet arbre en quechua "kinakina" - ce qui est une erreur semble-t'il.

C'est pourtant sur la base de cette histoire que, un siècle plus tard, Linné attribua le nom de genre "Conchina" , du nom de la comtesse, au désormais fameux Quinquina !

Ensuite, voici Robert Talbor, apothicaire anglais, présenté soit comme un pionnier, soit comme un manipulateur. Nous retrouvons celui-ci en 1679 à Versailles où ni la famille royale ni les aristocrates ne sont épargnés par des fièvres intermittentes, dues à la présence des eaux stagnantes des marais. Il leur propose son "médicament secret".

Dans une lettre du 8 novembre 1680 à sa fille, la marquise de Sévigné   fait mention de lui : "L’Anglois a promis au Roi sur sa tête, et si positivement, de guérir Monseigneur dans quatre jours, et de la fièvre, et du dévoiement, que s’il n’y réussit, je crois qu'on le jettera par les fenêtres...". Le succès fut au rendez-vous puisque non seulement , Talbor ne fut pas passé par les fenêtres, mais au contraire reçu une rente d'un  fort beau gabarit. 

Il semble que cela mit de fort mauvaise humeur le médecin officiel du roi , Antoine Daquin. La même marquise de Sévigné raconte la scène dans son style enlevé : "C'est dommage que Molière soit mort ; il ferait une scène merveilleuse de Daquin, qui est enragé de n'avoir pas le bon remède, et de tous les autres médecins, qui sont accablés par les expériences, par les succès, et par les prophéties comme divines de ce petit homme...".

Mais en quoi consistait la fameuse innovation de Robert Talbor : le "médicament secret du médecin anglais" ? En une préparation assez rudimentaire précisant la quantité de quinquina par pinte de vin et le rythme des prises. Cette supercherie permit à ses détracteurs d'alimenter leurs attaques contre lui et un article dans le "Journal Des Sçavans" le traite pratiquement de charlatan. C'est la fameuse "querelle du quinquina". Il faut dire qu'à l'époque (mais est-ce que cela a tellement changé ?) chaque innovation est l'occasion de débats voire de polémiques virulentes au sein de la profession médicale.

De son côté, La Fontaine donne son soutien à ce nouveau médicament en 1682 avec "le Poème du quinquina" où il fustige les dogmes de la médecine officielle de l'époque, en voici un extrait :
"...J’ai fait voir ce que croit l’Ecole et ses suppôts. 
On a laissé longtemps leur erreur en repos ; 
La quina l’a détruite, on suit des lois nouvelles...
La base du remède étant ce divin bois, 
Outre la centaurée on y joint le genièvre ; 
Faible secours, et secours toutefois. 
De prescrire à chacun le mélange et le poids,...
Mais comme il faut au quina quelque choix, 
Le vin en vaut aussi bien que ce bois : 
Le plus léger convient mieux au remède ; 
Il porte au sang un baume précieux ; ...
Le quina s’offre à vous, usez de ses trésors. "

Dès lors que Louis XIV utilise le quinquina, par mimétisme les aristocrates vont s'en emparer. Les publications se multiplient. Le remède se banalise et entre alors définitivement dans les pharmacopées, du moins celles des gens aisés.

Mais si on reconnaît les vertus du quinquina, on ne connait toujours pas en Europe précisément la botanique de l'arbre qui donne ainsi son écorce.

Nous allons passer au siècle suivant pour suivre la trace d'une grande expédition, celle de Charles Marie de La Condamine qui permit à Joseph de Jussieu d'étudier le Quinquina et d'en préciser la botanique.

Alors, plus à l'ouest, toujours plus à l'ouest ! 


Merci de votre visite et à bientôt !

Philomènement vôtre.

PS : et merci à Hergé pour les illustrations un peu iconoclastes (comme dirait le capitaine Haddock) !

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